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mardi, 10 juin 2014

A DÉFAUT D’ÊTRE UN X-MEN, JE ME SUIS LANCÉ DANS LA MACROBIOTIQUE

Le sud de la France est un grand terrain d’épanouissement de hippies.

C’est un peu un cliché, mais c’est un peu vrai. Le larzac n’est pas très loin…

C’est aussi une terre d’extrêmistes de droite. Béziers non plus, n’est pas loin… Il est probable qu’à bien des égards, le sud de la France soit en fait une terre antérieure à 1968 sur les dichotomies…

Depuis il y a eu les punks à chien et à chats, mais ce n’est pas l’objet ici.

Je ne sais pas si il existe un régime alimentaire fasciste, mais en revanche les hippies sont très inventifs quand il s’agit de se nourrir. Si tu es un peu de gauche, dans le sud, tu as vite fait de choisir ton camp, et tu te retrouves vite pro hippie.

Au sortir d’un week end à Uzès (une ville très jolie, avec beaucoup de vignes autour, un pont du gard pas loin, allez sur wikipédia si la ville vous intéresse, je ne suis pas payé pour vous faire l’office du tourisme) – week-end chez des amis qui s’est fini en longue dégustation dans un restaurant / cave à vin fantastique, puis s’est soldé par un lendemain moins fantastique en terme d’activité d’évacuation des toxines par cet organe (assez inquiétant, au passage- mais là aussi je ne suis pas payé pour vous donner des leçons d’anatomie) qu’est le foie.

Je me réveillais donc avec la fatigue que cet organe pompe au reste de l’organisme, de manière tout à fait despotique, en hurlant sur les autres organes que c’est lui le roi, un peu comme Geoffrey dans Games of thrones, sauf que Geoffrey se fait dézinguer, et que si on dézingue un foie, on dézingue son propriétaire. Mais Games of thrones n’est pas un corps humain.

Ce n’est pas le sujet , encore une fois, et les adeptes de macrobiotiques zen sont déjà en train de repartir sur google pour chercher des articles plus méditatifs.

Au sortir donc de ce week end plein de toxines une amie (la même qui nous avait emmené dans le restaurant fabuleux) me vante les propriétés détoxifiantes du régime macrobiotique numéro 7. ( il y a sept régimes- le 7 est le plus dur). Il est très simple à décrire : 10 jours de riz complet.

Matin midi soir. Basta.

Le truc qui fait envie, c’est que ce régime est censé régénérer 100% de ton sang en 10 jours. Le genre des trucs que peuvent faire Mick Jagger et Lady Gaga en clinique, mais plus difficilement moi, même si j’en ai souvent envie quand je suis fatigué.

Le régime macrobiotique est un vrai truc d’hypocondriaques. Or, j’ai tellement peur de la mort que j’en viens à avoir peur de faire du vélo, que je n’ose plus nager ou je n’ai pas pied, bref mon autonomie est en train de se rapprocher de celle des nourrissons. (je pense souffrir du syndrome de TAG- mais là encore ce n’est pas le sujet)

Ce régime était fait pour calmer ma paranoïa. Enfin c’est ce que je pensais.

Donc, pendant que mon foie élimine, avec une violence certaine, les toxines de la veille, je me décide à adopter ce régime de moine tibétains pendant 10 jours.

Ça semble super facile, 10 jours (j’ai oublié de dire qu’on ne doit pas boire trop d’eau- on peut boire du thé de 5 ans d’âge, mais j’ai fait tous les supermarchés bio de Montpellier je n’en ai pas trouvé- je me suis rapatrié sur une tisane de Yoggi au gingembre ).

Ça semble hyper facile, parce que tu te dis que le riz, ça nourrit bien, et que tu n’auras pas trop faim.

J’ai donc pris la chose au sérieux, je me suis renseigné en errant sur plein de sites, pour savoir ce qui était yin et ce qui était yang, j’ai lu des choses très drôles sur les sites macrobiotiques (par exemple : si tu as mal au crâne c’est probablement à cause des ondes wifi. Il faut donc mettre un kilo de sel aux quatre coins de ton appartement pour calmer les ondes wifi. Ingénieux n’est ce pas?)

Je me suis dit que ce serait amusant, de devenir ce genre de personne.

Un peu comme une bonne résolution radicale, absolue même, du jour de l’an. En ce qui me concerne, ça voulait même dire devenir quelqu’un d’autre (je bois énormément de café, mon rapport au vin est inquiétant, j’aime manger des kebabs à 3 heures du matin, j’aime même les pieds de cochon).

La résolution était prise : « je vais devenir quelqu’un d’autre, manger du riz, arrêter de boire de l’alcool et du café ». J’ai même poussé le truc jusqu’à faire de la méditation zen- à raison d’une demie heure par jour- généralement la nuit- en écoutant de la musique de méditation japonaise. J’avais peur que ma copine – ou pire, ma belle fille - se réveille et me surprenne face au mur les yeux mi-clos, en train d’écouter les moines. Je faisais ça en cachette, quand tout le monde dormait. On dirait pas, mais méditer, c’est hyper gênant. Tu as peur de te faire gauler sur le fait.

« Mais, tu te fous de moi, tu médites ? » « Tu penses à qui quand tu médites ? » - mes méditations étaient un peu gâchées par ces considérations paranoiaques, il faut l’admettre.

Après deux jours de Riz et de méditation, je peux vous assurer que vous commencez à vous demander ce que vous êtes en train de faire.

J’ai aussi peur des maladies mentales, et je me suis dit que je devenais dingue (ce que mes amis me confirmaient, mais je me disais qu’ils étaient jaloux de mon courage, parce que je me voyais un peu en super héros)

En même temps, la méditation est un psychotrope très économique.

Après 30 minutes à se focaliser sur sa respiration, on a l’impression d’avoir fumé des tranquillisants très efficaces.

Du coup j’ai cru au côté spécial de la chose. (parce que sur les blogs consacrés à la question, ils te disent tous que le régime macrobiotique numéro 7- on en vient à penser à chanel, mais on se rappelle que c’est pas le même chiffre- te transforme complêtement)

Je crois que j’avais envie de me transformer. Je trouve ça con qu’on ait pas le droit de se transformer. J’ai toujours aimé les mutants. A défaut d’être un x-men, je me suis lancé dans la macrobiotique.

J’avais des douleurs d’estomac. Disparues en 48 heures…

Disparues dans l’estomac mais transformé en maux de têtes (normal à priori, les toxines s’évacuent- c’est l’excuse aussi chez les ostéopathes. On te dit que tu vas avoir mal pour avoir du bien- je suis dubitatif un peu)

Le troisième jour, tu commences à comprendre la difficulté du régime. Déjà parce que ta copine, qui le faisait avec toi, abandonne. Elle est déprimée, elle capitule. Du coup tu la regardes manger des fantasmes culinaires en mâchant ton riz (il faut mâcher le riz au moins trente fois, et surtout le cuisiner sans amertume et sans mauvaises pensées).

Ensuite parce qu’en allant faire du vélo (une activité compatible avec la macrobiotique) tu t’arrêtes boire un verre et que tu te demandes ce que tu as le droit de prendre (tu peux difficilement demander une poignée de riz cru complet dans un café- le riz cru complet est très conseillé en macrobiotique, il faut le mâcher 100 fois, ça élimine plein de trucs dans le corps apparemment)

Du coup tu regardes la carte du café… Il faut savoir que pour les macrobiotiques dur, une « boisson de fête » (c’est expliqué comme tel sur le site) sera, par exemple, un jus d’algues, de chou vert blanchi et d’épinards. La conception de la fête des types qui font de la méditation est spectaculaire. Ces gens savent manifestement s’amuser.

Donc, difficile de demander la poignée de riz, idem pour le jus d’algues au chou, idem pour le thé de 5 ans.

Je m’oriente donc vers un sirop de menthe. (intérieurement je culpabilisais énormément, j’avais l’impression de boire du poison et d’écraser les dix commandements en une gorgée de sirop Teissèdre)

D’ailleurs je voyais du poison partout. Je m’amusais du coup (au bout de 48 heures) à faire culpabiliser les gens autour de moi sur ce qu’ils mangeaient.

En moins de trois jours d’étais devenu un Vegan macrobiotique chiant et moralisateur.

Une amie passe à la maison, gentillement, avec une bière. Je la remercie d’avoir amener du poison, tout en faisant mon infusion de yoggi. Elle boit sa bière seule.

Au bout du quatrième jour je me suis demandé si je n’étais pas en train de tomber dans une secte, outre le fait que je continuais à méditer devant mon mur blanc tous les soirs, j’étais obsédé par mon sang qui devait se régénérer.

Le côté purification intérieure un peu. Je sais pas si il y a des moines tibétains nazis, mais j’avais l’impression de filer un mauvais coton.

Je voyais des affiches pour des stages de méditations gratuits et réfléchissais sérieusement à y aller.

Je ne sais pas quelle phase de purification sanguine commence à partir du cinquième jour, mais elle est difficile. Très difficile même. On se demande quel est l’intérêt de vivre. On a plus mal au ventre, mais on songe à s’installer dans un monastère. Quitte à vivre en ascète, autant le faire complètement.

J’avais en plus ce mal de crâne et de cervicales, toute la journée. En sortant du travail, généralement je bois au moins une bière pour me féliciter de ma patience et de mon calme, sept heures durant, devant des élèves oscillant entre illettrisme et déficience intellectuelle profonde.

Puni, pas le droit à la bière. Puni, aussi, ce soir, tu mangeras du riz, encore. Mais tu ne dois pas te sentir puni, puisque tu dois cuisiner sans amertume et avec joie de la nourriture que t’offre le sol. Tu te retrouves coincé. Un moine tibétain nazi dans la tête, tu vois.

Je regarde alors l’état de mes comptes en banque (l’argent c’est un peu le diable, vous allez voir), je vois que j’ai (de nouveau) de l’argent. Je pense aux bons vins que je pourrais acheter avec cet argent, au bon repas que l’on pourrait faire.

Trop tard. J’ai fait germé le poison dans mon cervelet.

Je cours tirer de l’argent. Je me précipite, comme possédé, chez le boucher, le Méphistophèles de ma semaine passée. Chez le caviste, autre suppôt de Satan, et enfin au supermarché de la sorcellerie :

Carrefour Market.

Là je transgresse les interdits comme un délinquant alimentaire. Comté, pains pour faire des hamburgers, Gnocchis, pommes au four, bœuf haché, Mon taux de criminalité explose chez le caviste ou j’hésite entre plusieurs grands crus du Languedoc. Des vins contenant des sulfites, de sûrcroit… Du raisin et des pesticides fermentés. J’ai l’impression que je ne vais pas organiser un repas, mais une cérémonie de magie noire où nous allons boire des solutions à base de Cigüe et de Curare..

Le repas est vivifiant. Je ris en me disant que j’étais devenu fou pendant la semaine passée. La bouteille terminée, nous décidons d’aller dans un

bar à vin, en boire une autre. Mon mode de vie n’est plus monastique du tout, je parle avec tout le monde.

Des gens nous proposent d’aller dans une fête. Dans une free party en l’occurrence. Je n’ai jamais été dans une free party. En temps normal j’aurais dit « non mais ça va pas, j’ai pas 17 ans » mais là c’est comme si je sortais de garde à vue alimentaire. Il y avait eu un vice de procédure, j’étais libre d’ingérer ce que je voulais.

L’empoisonnement volontaire. La cigüe de plein gré.

Ma cigarette électronique ne marchait plus (en même temps j’aurais eu l’air malin avec une cigarette électronique en teuf) – je m’accordais même quelques marlboro. Je ne me souviens plus trop de la suite, à part que le lieu était vraiment beau et les arbres et les pierres vraiment sympas – finalement le lien avec la nature cher aux macrobiotiques était resté intact.

Le lendemain mon foie faisait sa guerre mondiale, les neurones débarquaient de mon cerveau. Mon système nerveux central avait besoin de méditation.

Je sentais germer à nouveau en moi l’idée d’une seconde tentative macrobiotique. J’ai finalement été invité à un barbeque.

Depuis, je dois faire le truc genre un jour par semaine. Je crois que j’ai échoué, en gros.

Bill Van Cutten

Bill a 31 ans et un chat qu'il aime beaucoup, même si il n'en est pas le papa biologique. Quand on l'a rencontré, il avait une boucle d'oreille et se tapait nos balances dégueu (il était ingé son à l'Espace B). Aujourd'hui installé à Montpellier, comme Nils, il a toujours une boucle d'oreille, est professeur de dessin, continue son projet musical Hyperlion, travaille sur un film d'animation et nous envoie en avance ses illustrations aux couleurs qui émoustillent les rétines. Oui, tout à fait, il a le temps de faire tout ça. Alors nous fais pas chier quand tu veux un "délai".