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lundi, 05 mars 2018

Cher centre de dépistage de l’Hôpital Saint Louis

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Le 23 août 2013, j’ai subi un viol non protégé. Je n’en ai pas vraiment parlé sur le moment, et jusque il y a une semaine, j’avais l’impression d’avoir passé les 8 mois qui ont suivi l’agression à ne pas mettre de mot dessus.

Il y a une semaine, j’ai suivi une formation au CFCV (Collectif Féministe Contre le Viol) et, entre professionnel.le.s de la santé ou du social, on a discuté de l’accueil fait aux personnes victimes de viol. Et je me suis soudainement rappelée.

Bien sensibilisée à la question du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles, je n’avais qu’une obsession après l’agression, c’était le dépistage. J’ai impatiemment attendu trois mois, posé une demi RTT et je me suis présentée au centre de dépistage de l’hôpital le plus proche de chez moi, Saint Louis.

Dans la salle d’attente j’ai rempli le formulaire méticuleusement, et à la question des conditions de la prise de risque, j’ai marqué viol. Trois mois après l’agression, j’étais donc capable de nommer ce qui c’était passé mais c’était la première fois que je l’écrivais, la première fois que j’en parlais à des professionnels, la première fois que je disais ça à haute voix.

L’infirmière est venue dans la salle d’attente pour faire passer les personnes pour la prise de sang, a pris ma feuille, a vu ce qui était noté et m’a rendu le formulaire, en me disant qu’elle ne pouvait du coup pas me prendre, qui fallait que je sois vue par un médecin, ah non non avec ces circonstances ça peut pas aller vite, faut voir le médecin. J’ai donc attendu, et ai été reçue par une médecin.

D’un ton fatigué, elle m’a demandé de lui raconter les circonstances, j’ai dit que je ne savais pas trop comment expliquer, j’étais terrorisée à l’idée de raconter pour la première fois, terrorisée à l’idée qu’on ne me croie pas, je transpirais, j’avais envie de vomir et j’ai senti que je l’agaçais, que sa journée avait probablement du être difficile, qu’elle n’avait pas le temps pour ça, parce qu’elle m’a répondu mais enfin c’est un viol ou c’est pas un viol, faudrait savoir, essayez d’être claire. J’ai fondu en larmes, je n’ai pas su quoi répondre, j’avais besoin d’un peu de bienveillance et j’ai juste eu terriblement honte de ce que j’avais marqué sur le formulaire.

Elle n’a pas cherché plus loin, visiblement irritée par cette gamine larmoyante dans son bureau, elle a sans doute du me demander si j’avais porté plainte, j’ai du répondre que non, mais en vrai j’étais déjà ailleurs, et l’entretien était fini. J’ai eu envie de partir en courant, mais je suis restée pour la prise de sang.

L’infirmière est venue, elle ne savait pas trop quoi faire, moi je me disais qu’un viol dans un centre de dépistage ça devait pas être si rare que ça, et quand j’ai eu le bras piqué, alors que l’infirmière recueillait les tubes, elle a commencé à meubler le silence. J’en avais eu de la chance, de pas finir comme les filles à la télé. Quelques mois plus tôt, l’affaire des séquestrées de Cleveland était sortie, elle avait vu qu’un américain avait enfermé trois filles pendant des années, ça aurait pu être pire hein, faut vous raccrocher à ça, et puis y a pas eu de violence non, c’est pas plus mal, vous vous en remettrez hein.

Je suis ressortie de là, et j’ai su que je ne reviendrais jamais, je ne viendrais pas chercher les résultats, hors de question, et puis je me faisais des idées, c’était pas si grave ce que j’avais vécu, alors je me suis tue pendant des mois ensuite, j’ai pas vu de psy, j’ai pas appelé de numéro en 0800, j’en ai pas parlé à mon médecin. J’ai juste été voir une gynéco des mois plus tard, en lui disant que le préservatif avait craqué lors d’une relation pour qu’elle me prescrive un bilan, j’avais appris la leçon.

Cher hôpital, je ne t’écris pas pour te charger, tous les jours dans mon bureau d’assistante sociale, j’ai des personnes victimes de viol, et moi aussi j’ai du en foirer des accueils. Je t’écris pour que tes médecins prennent conscience, prendre conscience du poids de leurs mots, de l’impact qu’ils peuvent avoir sur une jeune femme de 27 ans qui ne sait pas trop ce qui lui arrive, de l’impact sur sa santé. Ces temps ci, le monde nous reproche souvent de ne jamais avoir parlé, mais au final nous parlons, nous parlons constamment, nous lançons des perches qu’aucune oreille ne souhaite entendre. Et il me semble qu’un centre de dépistage anonyme et gratuit, parmi toutes les institutions de santé, doit pouvoir prendre en charge les personnes victimes de viol et d’agressions sexuelles, peu importe la journée difficile, peu importe le nombre de larmes versées, ou la difficulté à s’exprimer.

Marcia

Marcia est née en 1986 et a un superbe couteau avec gravé "We Fight Back". On l'a rencontré il y a fort longtemps, elle avait eu la gentillesse de nous inviter pour un nouvel an et depuis, cette passionnée de pâtes et de droits sociaux nous envoient des papiers qui défoncent tous autant qu'elle, et nous éclaire de fou. C'est simple, on les attend avec la même impatience que la neige à Noël. Marcia, on t'aime, change rien et continue comme ça. Coeur avec les doigts.