Il y a encore quelques mois ton nom ne me disait rien. C’est à peine si je connaissais le titre de ton bestseller « Mange, prie, aime » dont la couverture girly et le navet avec Julia Roberts (je n’ai vu que la bande d’annonce mais crois-moi, cela m’a suffit pour décider que je préférerais rouler une pelle à Donald Trump plutôt que le regarder en entier) me rendait aussi sceptique qu’un caneton dans un terrier de renard. Alors quand je me suis retrouvée dans une petite librairie de seconde main au Cambodge sans rien à me mettre sous les yeux après avoir perdu mon Kindle et que “Mange, prie, aime » était seul livre disponible en anglais j’ai craqué en me disant qu’au pire je pourrais toujours l’abandonner dans un bus et faire un heureux.
A priori cette histoire autobiographique à dormir debout racontant comment, après un sanglant divorce tu te balades en Italie pour explorer ton toi hédoniste, en Inde pour ouvrir tes chakras et à Bali pour nous assommer d’une happy end sous forme de love story qui sentait fort le parfum de supermarché ne présageait rien de bon. Comme quoi les livres traitant de sujets dits “personnels” écrits par des femmes sont souvent marketés comme “girly” ou “chick-lit” avec tout ce que cela sous-tend de péjoratif. Alors que oui, on peut être une femme, parler d’amour et de quête spirituelle sans être niaiseuse, merci beaucoup les marketeux de nous faire croire le contraire.
Avec cette couverture tu peux vraiment pas m’en vouloir d’avoir pris ton livre avec des pincettes.
Bref, j’étais à mille lieux d’imaginer que, comme des millions d’autres lecteurs avant moi, je n’allais pas pouvoir décoller mes rétines de ton livre avant d’avoir atteint la dernière page. Bon il faut dire que j’avais de quoi m’identifier : après avoir tout plaqué (mec, boulot) pour voyager à l’autre bout du monde, toi et moi on avait quelques petites choses en commun. Mais de là à rencontrer une écrivaine assez talentueuse pour rendre un récit en apparence paquebot (= bateau en pire) aussi captivant, alors là, chapeau. En fait, au delà des qualités assez évidentes du livre que sont ton style drôle et efficace, l’histoire (vraie) à rebondissements enrobée dans cette forme hybride à mi-chemin entre autobiographie rousseauiste (pour le côté “je dirais tout même le pire” mais pas pour le côté misogyne de notre philosophe pas si éclairé), d’essai et de « self-help book », ce qui m’a fait définitivement tomber sous le charme c’est avant tout ta personnalité à la fois lucide, sincère et généreuse. #ceciestunedeclarationdamour.
Comme disait ce cher Ferdinand Ramuz : “On ne va au particulier que par amour du général et pour y atteindre plus sûrement”. Et toi, ma Liz (à ce stade vu que je te déclare mon amour j’ose espérer que ça ne t’embête pas si je t’appelle par ton petit nom hein ?), grâce à ta voix si singulière tu réussis l’exploit de faire résonner ton histoire auprès de millions de gens (10 millions et des poussières pour être (pas) précise dont je pari qu’un bon 5% a tout plaquer pour faire un tour du monde introspectif. Il y a d’ailleurs un bouquin avec des histoires de gens qui t’ont imités). Bon tu ne pouvais pas prévoir qu’à cause du succès inattendu de ton livre les touristes allaient affluer en masse dans les lieux de ton périple les dénaturant en profondeur. Personnellement sache que je ne t’en veux pas, c’est pas comme si tu avais prévu que ton livre deviendrait aussi populaire, hein ?
Une séquelle du seigneur des anneaux ? Ha non, juste la couverture de ton nouveau bouquin, mais que fait la police du bon goût ?
Sitôt ton bestseller refermé je m’empressais d’acheter la suite « Mes alliances , histoires d’amours et de mariages” (“Commited” en anglais) où tu racontes comment, alors que tu t’étais promis de ne jamais te remarier après le traumatisme de ton fameux divorce, le destin te met au pied du mur quand Felipe, ton amoureux brésilien rencontré à la fin de “Mange prie, Aime” (incarné par Javier Bardem au ciné, la classe) se trouve obligé de se munir d’un visa Américain s’il veut un jour refouler ta terre natale. Dans cette forme de récit hybride dont tu nous as donné un avant-goût dans “Mange Prie Aime”, tu réalises un vrai travail d’historienne, de sociologue et d’anthropologue sur le mariage et les relations amoureuses qui te sert de base pour réfléchir sur ton dilemme : comment réussir à donner du sens à un mariage dont tu ne veux pas ? Ce travail “académique” mêlé à ton expérience sentimentale où tu te livres sans fard révèle une personnalité pétrie de contradictions dans la continuité de la Liz qu’on apprenait déjà à connaître dans “Mange, Prie Aime” : une féministe, une serial loveuse mais aussi une grande infidèle qui nous explique qu’elle ne veut pas d’enfants, merci. Tu réussis encore l’exercice périlleux de parler de tes préoccupations les plus intimes tout en préservant autant que possible la vie privée des gens qui partagent ta vie. Toujours est-il qu’après la lecture de “Mes alliances” on a l’impression de mieux te connaître que notre meilleur(e) ami(e). En puis on va pas se mentir : j’aime (pas si) secrètement savoir ce qui se passe dans l’intimité des gens… Alors quand des auteur(e)s talentueuses se mettent littéralement à poil en racontant des histoires VRAIES c’est le pied. En plus ça me donne quand même un peu plus de caution intellectuelle que lire Closer ou Valérie Trierweiler chez le coiffeur…
Après « Mes alliances », changement de registre : en 2013 tu sors un excellent livre de fiction “La signature de toute chose” qui est encensé par la critique américaine mais passe plutôt inaperçu en France. Tu y racontes l’histoire d’Alma, une jeune fille née aux Etats-Unis au 19e siècle dans une famille de botanistes, une héroïne érudite au caractère fort comme du roquefort comme je les aime (qui d’ailleurs fait étrangement penser à un autre personnage du même genre qui se nomme aussi Alma dans l’épopée familiale « la maison aux esprits » d’Isabelle Allende mais je digresse - ou j’étale ma pseudo culture littéraire, au choix), rappelant à tout le monde qu’avant d’être une icône tu écrivais déjà des romans, et des plutôt (très) bons.
Après cette petite pause fictionnelle bien méritée tu renoues avec la forme semi-autobiographique qui t’a rendu si célèbre avec “Big Magic — A Creative Life Beyond Fear” publié en 2015 (« Comme par magie” en français qui, contrairement aux apparences, ne contient aucune intervention de David Coperfield. J’espère que tu me pardonneras un jour pour cette blague). Si “Mange Prie Aime” mettait en scène ton parcours spirituel, “Mes alliances” tes relations sentimentales alors “Big Magic” lui, nous parle de ton rapport à la créativité. J’entends déjà s’élever au loin les cris d’orfraie : mais c’est quoi ce titre new-agy à deux balles ? Bon que les gens qui lisent ces lignes se rassurent tout de suite, l’auteure de ces lignes préféreraient qu’on lui chatouille les orteils à vie plutôt que lire en entier un livre de Paulo Coelho donc N’AYEZ PAS PEUR.
Dans ce livre tu dévoiles de nouveaux pans de ton histoire personnelle qui te servent encore une fois de base pour étayer tes idées : celle de l’enfant tétanisée par la peur, celle de la serveuse sans le sou qui ne veut pas renoncer à son rêve de devenir écrivaine, celle de la journaliste chez GQ qui arrive à se faire sa place dans un monde de machos… Un acharnement qui finira par payer au centuple avec le succès qu’on connait. Ton but cependant n’est pas ici de donner une recette pour devenir talentueux ou célèbre mais de montrer au lecteur lambda que tout le monde peut être créatif à sa manière, et qu’avoir une vie créative (sans nécessairement en faire son métier) c’est lui donner du sens. Amen.
Ton livre est bourré de conseils pratico-pratiques dits “à l’américaine” (genre si tu veux tu peux et tutti quanti) dont voici des morceaux choisis :
1/ L’homme est une espèce qui a toujours aimé créer, ça fait parti de sa nature. Cet amour inné de la création peut prendre plusieurs formes of course (oui, toi dont la passion est de customiser des clés USB personne ne te juge) mais tu es catégorique : cette capacité à créer existe en chacun de nous, il suffit de trouver un truc, n’importe lequel qu’on aime bien faire et de s’y atteler.
Tu veux écrire un livre ? Faire une chanson ? Réaliser un film? Décorer des poteries ? Apprendre à danser ? Explorer un nouvel endroit ? Tu veux dessiner un pénis sur le mur ? Fais-le. Tout le monde s’en fiche. C’est ton droit en tant qu’être humain de faire ces choses alors fais-le de gaieté de cœur (enfin, faites-le sérieusement, évidemment — mais ne prenez pas cela au sérieux.)
2/ On peut avoir une vie créative sans s’appeler Picasso ou Xavier Dolan. Le talent c’est cool, okay mais même en peignant la pire des croûtes on peut prendre du plaisir. Alors peignez des croûtes si vous aimez ça, sans vous mettre la pression (ou écrivez des articles pourris sur Elizabeth Gilbert). Personne ne vous demande de tout plaquer ou de recevoir un Pulitzer ou rafler toutes les palmes d’or.
Le perfectionnisme est un leurre particulièrement malsain pour les femmes qui, je crois, se fixent des critères de performance plus élevés que les hommes. Bien trop souvent les femmes s’abstiennent de participer. Elles refoulent leurs idées, leurs contributions, leurs qualités et leurs talents. Trop de femmes semblent encore penser qu’elles n’ont pas le droit de se montrer tant que leur personne et leur travail ne sont pas impeccables et à l’abri de toute critique.
3/ Le mythe de l’artiste maudit qui s’arrache les cheveux en fumant clope sur clope fait énormément de mal à l’image qu’on se fait d’une vie créative. On a pas besoin de souffrir, d’être malheureux et de mourir à 27 ans d’une overdose pour être un bon artiste ou aimer créer. Ouf.
Rolalala mais regarde moi comme je suis maudiiiit
4/ Créer c’est 5% de soudaine inspiration où on a l’impression que tout coule de soi et 95% de travail laborieux. Ce qui ne veut pas dire douloureux. Mais du travail quand même. Donc si on sent qu’une idée pousse dans un coin du cerveau on l’attrape et on s’enferme avec jusqu’à ce qu’il en sorte quelque chose
Accroche toi à cette idée tel ce panda à sa baballe
5/ J’ai gardé le plus perché pour la fin pour ne pas effrayer les plus rationnels : les idées créatives sont en quelque sorte “magiques” (d’où le titre du livre). Elles voyagent d’une personne à l’autre sous la forme d’inspirations, c’est à chacun de décider (ou pas) de se donner un coup de pied aux fesses pour les capturer avant de les travailler au corps pour qu’elles deviennent peintures, poèmes, musique, livres, sculpture, crochet, … Ca peut paraître un peu ésotérique (que celui qui a dit “niaiseux” là-bas dans le fond se taise à jamais) et pourtant… ça marche. On y croit. Ou plutôt : on veut y croire et finalement c’est bien là le plus important. Tant pis pour les sceptiques, qu’ils aillent se faire cuire un oeuf. On referme le livre hyper stimulé avec l’envie de faire plein de choses sans en avoir rien à fiche du regard des autres.
La gouroutisation de Liz
Aveuglée par l’amour je me suis peut-être un peu arrangée avec la vérité au début de cette lettre en te prêtant un style 100% unique … Des femmes qui mélangent style autobiographique et conseils de vie avec talent et sincérité tout en vendant des millions de livres il y en a déjà quelques unes sur le marché. Citons, entre autres, Amy Poelher, Tina Fey ou Sheryl Sandberg. Mais je ne crois pas me tromper si j’affirme que personne n’a encore atteint ton influence dans ta catégorie (ou alors peut-être Oprah, mais vous n’êtes pas vraiment sur le même créneau)
La sortie de ton dernier livre t’a d’ailleurs valu le sobriquet de guru par la presse américaine. En 2008 le Time t’avait déjà élu parmi les 100 personnalités les plus influentes de l’année. A côté d’Obama et du Dalai Lama (bon et Miley Cyrus mais chuuut).
Guru c’est un terme que toi-même tu défends au début de “Mange, prie, aime”, en lui redonnant sa signification originelle « de maître spirituel” (loin du manipulateur raëllien avec ses orgies d’extraterrestres) et il te va comme un gant. Comme un(e) gouroue tu donnes des conseils, comme une gouroue tu es adulée et inspires des millions de gens qui se sentent proches de toi, ou pire, qui s’identifient à toi (La preuve ? Je te tutoies depuis le début de cette lettre, j’ai un peu l’impression qu’on a élevé les cochons ensemble toi et moi), il ne te manque plus qu’un nom de secte. Je suggère les “Gilbertains” pour ton fanclub français.
Tes interventions sur TedX font des millions de vues, et suite au succès de Big Magic tu lances les podcasts “Magic Lessons” où tu réponds à tes auditeurs qui se posent des questions autour de …Ô surprise… leur créativité en faisant intervenir tes amis pour compléter ton point de vue et ne pas paraître trop dictatoriale j’imagine (soit dit en passant c’est assez redondant avec ton bouquin, il fallait bien que je te trouve un défaut sinon on va finir par croire que j’ai des actions chez ton éditeur). On y entend notamment ta meilleure amie Rayya, une chanteuse punk / syrienne / lesbienne… (pourquoi cette information ? Patience…).
A l’heure où la notoriété se compte en nombre de pouces sur Facebook, ta page recense plus de 1,6 millions de likes. Certes c’est moins que Rihanna mais toujours plus que Simone de Beauvoir (mais c’est parce qu’elle ne peut plus prendre de selfies et assurer son community management, la pauvre).
Dans tes posts, dont certains sont des petits articles à part entière, tu parles de ta vie, réponds autant que tu peux à tes disciples heu lecteurs avec bienveillance (bon évidemment tu fais aussi ta promo mais faut bien que tu mettes du beurre dans les épinards). Là par exemple tu nous incites à dire la vérité quoiqu’il arrive plutôt que de conforter les gens dans leurs mensonges, ici tu critiques les gens qui affirment qu’ils est possible de ressentir “des émotions inappropriés ou fausses”. Tu trouves dans les réseaux sociaux la parfaite continuité de ce pacte autobiographique entamé dans tes livres alors on sent que tu joues le jeu avec plaisir.
Quand soudain, le premier juillet 2016 apparaît un coup de tonnerre survient au milieu de cette mer de messages débordant de bons sentiments : tu annonces que tu te sépares de ton mari, ton partenaire de vie, le fameux Felipe du livre.
WOW, alors là on s’y attendait pas. Mais POURQUOI ? C’est le tremblement de terre, tu peux pas nous écrire un livre sur comment ça va marcher avec Felipe et te séparer de lui. C’est un coup à me faire perdre foi en l’amour. En même temps tu fais ce que tu veux hein?
En septembre un deuxième rebondissement nous dévoile le pourquoi du comment de l’affaire. Dans un message déchirant tu annonces que ta meilleure amie Rayya est en train de mourir d’un cancer du pancréas et que ce terrible événement t’a fait réaliser que “tu n’aimais pas que Rayya, tu étais amoureuse de Rayya.” D’où la séparation avec Felipe. Autant dire qu’à côté la rupture de Brad et Angelina c’est aussi excitant que le divorce de mes cousins au 3ème degré Martine et Michou.
“ But something happened to my heart and mind in the days and weeks following Rayya’s diagnosis. Death — or the prospect of death — has a way of clearing away everything that is not real, and in that space of stark and utter realness, I was faced with this truth: I do not merely love Rayya; I am in love with Rayya. And I have no more time for denying that truth. The thought of someday sitting in a hospital room with her, holding her hand and watching her slide away, without ever having let her (or myself!) know the extent of my true feelings for her…well, that thought was unthinkable.”
Voilà pour le dernier épisode en date. Je me doute qu’avec tout ces événements dans ta vie tu as peut-être autre chose à faire qu’écrire un livre mais sache que je l’attends avec autant d’impatience que Noël et mon anniversaire réunis.
PS: N’hésite pas à faire appel à moi si tu veux des conseils en couvertures.