La chaleur caniculaire alourdit l’atmosphère moite de cette fin d’après-midi. L’air ambiant diffuse des odeurs diverses qui ressemblent étrangement à celles de l’appartement de ta voisine du dessous. D’ailleurs ça fait trois jours qu’elle n’est pas sorti de chez elle, faudra penser à vérifier qu’elle respire toujours la vieille peau.
Les klaxons des voitures rendent le bruit de la rue assourdissant et la pollution sonore emplit tes tympans d’un grésillement fréquent et rythmique.
Comme si dans ton crâne, tu sais entre le télencéphale, le mésencéphale, le cervelet et le bulbe rachidien il y avait un gros club techno.
Avec un gros DJ bien sale.
Les portes du métro se referment derrière toi et tu ne trouves pas de siège libre. La barre au milieu de la rame est empreinte de mains sales et transpirantes. Si tu étais dans NCIS tu releverais toutes les empreintes et après tu dénoncerais les coupables de ne pas avoir d’hygiène et de ne pas comprendre qu’il NE FAUT PAS TOUCHER CETTE BARRE DÉGUEULASSE.
Tu éponges ton front humide et ta mèche se colle à ton oeil. Ta migraine ophtalmologique te fait fermer les yeux et tu n’as pas la force de sortir ton portable qui vibre dans ta poche arrière. Les variations de ton cello-phone sont régulière et tu espères secrètement que ces secousses raffermissent ton fessier. Dans la pub en tout cas quand la nana se met un vibromasseur autour de son bas ventre ça marche.
Une main frôle ta fesse à maintes reprises et tu te demandes à quel moment il sera approprié de te retourner pour décocher un coup dans l’oeil de ton agresseur sans passer pour une psychopathe avide de violence urbaine. Après si tu te retournes et que tu voies que le mec est enfait grave beau tu sais pas si tu lui demandes son numéro ou si tu lui décoches ton regard de séduction maximale que tu réserves au barman après quatre verres. En même temps ce regard a jamais vraiment marché parce que t’a toujours dû payer tes consos.
Tu comptes les secondes avant que les portes ne s’ouvrent à ta station mais après une tentative d’échappatoire mentale vaine dans un univers idyllique tu te rends compte que la rame n’a pas encore bougé.
Le temps se décuple en secondes qui paraissent de longues
…
minutes
…
interminables.
Tu essaies de penser à quel bouquin de Marc Lévy tu vas utiliser pour réparer ton pied de table basse. Tes jambes lourdes commencent à être envahis de crampes. Tu ne bouges plus de peur de te liquéfier alors tu puises dans tes souvenirs pour essayer d’en ressortir un moment apaisant. Mais ta vie n’en comporte pas beaucoup.
Tu tournes péniblement la tête autour de toi pour trouver de l’inspiration auprès des gens qui t’entourent.
Une mamie chinoise dort sur le strapontin blanchit de marqueur. Son visage est moite et ridée de milliards de petites ridules qui forment des centaines de ruisseaux qui s’entrecroisent entre son front et sa bouche. Un filet de bave commence à sortir lentement de ses lèvres entrouverte et tu imagines une rivière de salive couler sur son tee-shirt et envahir peu à peu la rame. Les gens se mettent à flotter dans ce liquide et ils sont obligés de lever la tête vers le plafond sale pour respirer quelques goulées d’oxygène avant de plonger d’un coup dans la salve de magma humain.
Un homme parle tout seul et bouge ses mains dans tous les sens. Il gesticule et dégage une odeur nauséabonde qui te fait changer ta trajectoire. Tu respires maintenant par la bouche de peur de tomber dans les pommes au moindre reniflement. Et tu as une pensée compatissante pour sa femme. Ou pour sa compagne.
Ou pour la personne de sexe indéterminé qui partage les nuits avec lui. Et qui le voit nu. Et qui le sent nu.
Ah mais arrête d’y penser c’est dégueu.
Les portes s’ouvrent enfin mais tu es bien loin de ta station. Il reste un quart d’heure avant ta destination finale soit le temps qu’il te faut pour parcourir ta rue propre et calme qui te mène à ta porte d’entrée.
Tu imagines ton appartement frais et apaisant, où un thé à la cannelle refroidit délicieusement sur ta table basse. Tu prend la tasse en t’enfonçant dans tous coussins moelleux et lavés de la veille. Par ta fenêtre ouverte retentissent des notes de musiques tziganes et des cris d’enfants joyeux qui cours pieds nus dans la rue. Tu t’étires en baillant et une vague de bien être t’envahit, te donnant envie de rester dans cet état de calme intemporel. Mais ton téléphone vibre et t’arrache de ton rêve éveillée. T’espères vraiment qu’il te muscle les fesses bordel.
Tu réalises aussi que ta vie ne ressemble pas à un film d’Almodovar coloré et que ton appart est minus et pas rangé et que de toute manière tu n’aimes pas le thé à la canelle.
Tu commences à être légèrement vénère.
Devant toi se trouve un jeune homme acnéique qui écoute une musique assourdissante dans un casque blanc. Tu observes son visage et cette musique te saoules et tu imagines lui percer tous les points blancs qui se trouvent sur ses joues. Ah ah bien fait sale gosse. Des plaques rouges apparaissent lentement et tes doigts sont couverts d’un liquide jaunâtre.
Mais pourquoi il FAUT TOUJOURS QUE TU TE TÂCHES MÊME DANS TES FANTASMES???
C’est à ce moment là que tu te rends compte que les portes du métro s’ouvrent et que tout le wagon se bouscule pour sortir le plus rapidement possible. On te pousse mais tu t’en fous.
C’est fini.
Tu es arrivé.
… au terminus de la ligne.
Soit bien loin de chez toi. Il ne te reste plus qu’à faire le chemin inverse.