« Quand j’étais petit ma mère m’a dit de ne jamais fixer le soleil, alors à six ans je l’ai fait »
PI, Darren Aronofsky
J’ai voulu vivre ma vie à cent à l’heure, ne rien me refuser, tout essayer, j’appelle ça être libre.
Une idée un peu à la con où tout est une compétition, une aventure, un film, où tu pousses ton corps jusqu’au bout juste pour tout essayer comme une adolescente. J’ai trompé, menti, volé dans les magasins, fais de la garde a vue, essayé de voler avec un parapluie comme Mary Poppins, sauté à l’élastique à douze ans, et évidemment pris de la drogue.
Tout a commencé avec les pétards : je fumais cinq à six joints par jour pour ne pas réfléchir, regarder des films, m’enfermer dans un petit cocon bien douillet en accomplissant des tâches pour survivre au niveau alimentaire et me mettre des races avec les copains le week-end.
Elève modèle moche du collège jusqu’à mes 15 ans j’étais bien sûr exclue de toute vie sociale. Internet venait de débarquer et c’était là ma liberté. Je pouvais être qui je voulais : une lesbienne de quarante-trois ans alors que j’en avais quatorze ou un simplement l’avatar de tous les shôjôs que je lisais à l’époque.
Alors forcément, quand on débarque d’un petit village à une métropole, tout est soudainement possible. Enfin des amis IRL, enfin une vie comme je l’imaginais, un appartement pour moi toute seule : l’indépendance, les voyages, les sorties, les potins, le bonheur et les mecs, mais toujours chez moi. Mon indépendance pour toujours.
Le temps a filé, les petits boulots n’étaient clairement pas une vie même si le weekend compensait tout ça à chaque fois tant je m’amusais dans l’insouciance.
Vingt-sept ans : j’ai toujours refusé de foutre un truc dans mon nez, mais j’ai finalement cédé.
Au début c’est génial, une nouvelle forme de liberté fabriquée mais bien réelle au niveau du ressenti sensoriel, tout le monde se touche, s’embrasse, s’aime, le temps d’une soirée. Au début c’est festif on est une vingtaine… la md, la mef, les extas, la cocaïne, le speed et pourquoi pas l’héroïne puisque maman a essayé (mais jamais en fix). Des soirées de trois jours, ça ne s’arrête jamais. JE ne veux jamais que ça s’arrête, la fin d’une fête et la prochaine étape c’est la redescente, la culpabilité, le plus jamais (mais bien sûr cocotte). Mais j’étais résistante, la plus résistante, à nouveau dans cette compétition débile.
Pitié que jamais la fête ne se finisse, revoir le jour, fermer les fenêtres recommencer à nouveau : la liberté de la nuit. Sortir des excuses plus abherrantes les unes que les autres aux boulots que je haïssais : un avortement, une mère à l’hôpital ou encore la classique gastroentérite du samedi matin. Je m’en fichais, je vivais, je n’avais aucun respect. J’ai pris du speed pendant 5 jours juste pour binger la deuxième saison de Twin Peaks et vivre plus fort jusqu’à ce que ma peau se mue en écailles de crocodile, et qu’il faille se branler pendant sept heures avec mon mec qui dort juste à côté pour enfin me soulager (l’apothéose : sans succès). Des fois j’ai arrêté, je me suis fait peur. J’ai fait des pauses plus ou moins longues, je pensais être invincible et gérer en faisant des retraites enfermée dans ma chambre à fumer des joints.
C’était mon self-care perso, ma façon à moi d’être raisonnable, et personne ne me voyait pendant deux semaines, puis ça recommençait.
Je suis butée, je suis la plus forte, je n’aime pas parler de mes faiblesses ou sous couvert d’une bonne grosse blague. Non je ne suis pas dépressive, tout le monde l’est. 2018, les meme de dépression et de mental breakdown fusent sur Instagram et je suis rassurée. Tout le monde prend de la drogue, tout le monde fait de la merde, je peux continuer.
Mais je vois bien que certains de mes amis font ça de manières plus récréative, chez moi c’est addictif, tout l’est, la bouffe, la drogue, le sexe, l’alcool, mon doudou, les films, le sport… tout.
Je perds mes amis petit à petit, je suis méchante sans raison, impulsive, vicieuse, de plus en plus seule. Aucune importance je suis la plus forte, et la seule chose qui m’importe est la prochaine fête. Je ne construis rien jusqu’à ce que je décide de vouloir faire professeur des écoles. J’ai enfin trouvé mon rêve. Pourtant, avec les fondations de merde que j’ai placé sous mes pieds ça tangue toujours, je n’ai pas confiance en moi, je fais semblant sur mes talons de douze le weekend, mais bien sûr, ça ne donne pas le change sur le papier dans la grande salle de concours avec les pigeons.
Je me bats, passe l’oral deux fois, atteins presque mon but la deuxième année à quelques points. Je courbe l’échine face a l’échec mais continue en réessayant une troisième fois. Je commence les remplacements dans les écoles, les collèges, les lycées. On est content de mon travail, on me rappelle, c’est sûr, c’est mon rêve et je n’abandonnerai pas.
Mais pendant ce temps, la dépression rampe, ronge, s’installe bien confortablement. Cette fois elle est là, je ne veux rien entendre, c’est ma carapace, je gère. Je gère. Je gère.
Plus de drogues, moins de drogues : je te dis que je gère.
Ça y est c’est l’été. Je n’ai pas été à l’oral cette fois, je sens la régression, la dépression mange mon amie, pendant ce temps elle me croque doucement, je ne m’en rends pas compte, je suis dans le déni, je lui fais des blagues, je suis méchante, je la perds elle aussi. Mais moi c’est différent, je gère, je gère. Je pense au suicide pour rigoler ; pour me libérer, quand je fais une crise de nerfs ; mais ce n’est pas mon genre, franchement, ridicule. Au contraire les gars, c’est une façon saine de vomir tout ce mal-être puis être en pleine forme pour sortir à nouveau le week-end sur mes plus beaux talons et épater la galerie. En plus c’est l’été. Profiter, soirées après soirées, puis s’enfermer avec les pétards encore, mon processus de guérison infaillible, trois livreurs deliveroo à ma porte. Je gère.
Plein mois d’août, je tombe amoureuse, fort, très fort (vous avez dit addiction ?). Lui aussi. On se voit une fois et c’est un conte de fées. Il part en vacances, moi aussi. On ne se voit pas pendant dix jours mais on s’écrit H24, c’est le grand amour. Il vient me chercher à l’aéroport, on avait compté les dodos. C’est le début, on connaît ça. Tout se passe bien mais mon animal noir est là, il rampe et sort inopinément, alors je parle de choses étranges il ne comprend pas. Je rentre chez moi comme sonnée. On est toujours amoureux. Je fume, ça va mieux. Je bois de l’eau pétillante et on fait de la moto, je veux tout arrêter.
Ce soir c’est POLO PAN, la canopée, mon rêve, avec mon amoureux. Je bois, je bois, je suis heureuse, je crie, je danse, puis je disparais pour aller manger des frites au fromage, sans prévenir, j’écris à un ex, je le dis, j’autodétruis, il ne comprend pas évidemment. Il me quitte par texto (classic Taurus shit).
« Dis-le-moi en face. Je suis en bas de chez toi dis-le-moi en face. »
Il me l’a dit en face avec ses yeux noirs, son ton calme et dur, logique et constant, sans compromis et évident.
« Tu peux dormir ici mais ça ne changera rien. »
Mon cerveau a enclenché la phase finale, j’ai couru jusqu’au balcon. J’ai enjambé.
Comme dans les films je me suis raccroché, mais c’était déjà trop tard,
« Chéri c’est fou c’est comme dans les films ! »
Il m’a lancé un drap c’était trop tard je suis tombée du deuxième étage.
C’était trop tard je me suis défenestrée.
C’était trop tard et je n’ai rien vu venir.
C’était trop tard et ce n’était pas sa faute.
Je suis née le 28/05.
Me voilà ressuscitée Le 25/08.
Avec mes deux vertèbres et mon poignet cassé j’ai enfin compris. Je suis enfin prête à vivre ma vie. J’ai eu une chance incroyable, les signes sont partout. A la naissance le cordon ombilical m’étranglait et j’ai failli mourir, toute ma vie j’ai refusé de vivre. Aujourd’hui j’apprends tout à nouveau comme une enfant mais je chéris cette vie comme jamais et je ne referai pas les mêmes erreurs.
La drogue n’est pas un jeu, la dépression n’est pas une blague.
Acceptez de demander de l’aide.
Donnez de l’amour.
Ecoutez les autres.
A Jeremy, Benoit, Maya, Kim, Jordan,
Eloi, Basile et Thomas.