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vendredi, 15 mai 2015

Le Barbès me rend triste

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Le Barbès est une nouvelle brasserie qui vient d’ouvrir au pied du métro Barbès-Rochechouart. Si vous êtes parisiens, il y a peu de chance que n’en n’ayez pas entendu parler. Déjà sacré par certains comme le nouveau haut lieu de la hype, il fallait bien qu’on aille y faire un tour pour se faire une idée.

Mais avant ça, retour sur la naissance du lieu. Quelques années plus tôt, le magasin Vano y siégeait à la place, sorte d’extension des magasins Tati sur ce même boulevard Rochechouart.
Et puis le temple des rideaux à 4,99euros a fini par cramer. Pendant 4 ans, les parisiens se sont habitués à voir cette vieille bâtisse délabrée, et se concentraient déjà d’avantage sur la rénovation du Louxor en face.

Petit point historique du Père Castor.
Le Louxor, c’était une légendaire salle de cinéma inaugurée en 1921, qui a été racheté par Tati (oui oui) dans les années 80, puis transformé en discothèque gay, le Megatown. Ce sont finalement les associations du quartier et Delanoë qui finissent par convaincre le groupe Tati de lâcher l’affaire pour rénover les lieux à partir de 2010. Aujourd’hui, on peut profiter d’une programmation de films indé plutôt bonne, et de prix abordables (amis chômeurs, la place vous coûtera 5 euros pour les séances du matin).

Petit point sur ma vie personnelle maintenant.
J’habite en face du Louxor. Ma fenêtre donne sur le métro aérien, et j’entrevois très facilement ce qu’il se passe du côté du Vano.
Il y a deux ans, les habitants du 18ème ont été informés d’une bonne nouvelle : KFC avait perdu la bataille dans la reprise de cette désormais ruine, et l’on pourrait compter sur la construction d’une nouvelle brasserie à la place. Joie ! Un nouveau QG en face de chez moi !
Pendant deux ans alors, comme une fillette qui attend le père noël, je n’ai cessé de regarder l’avancée des travaux depuis ma fenêtre. Nous y allions de bon cœur sur les pronostics avec mes colocataires «tu penses qu’ils vont faire une salle de concert?» «ils seraient cons de pas le faire», «et t’imagines quand on ira taper la bise au barman chaque matin pour prendre le café? », « Ça va être tellement cool».

Ouais.
Bah non en fait.

Le Barbès, tant attendu par tous mes copains du quartier, a enfin ouvert ses portes il y a 10 jours. Une horde de gens se sont empressés de faire la queue pour être les premiers à découvrir le lieu. J’en ai fait partie bien sur.
Mais un sentiment de malaise s’est emparé de moi quand je suis rentrée dedans. C’est beau, c’est très beau même, mais peut-être un peu trop. Ça sonne faux là dedans. Il y a ces serveurs habillées en tablier blancs comme au Fouquet’s, cette réception à l’entrée pour vous faire patienter ou refouler discrétos, cette pinte de kro à 8 euros (déjà propriétaires du Mansart, Sans Souci ou Chez Jeannette, je ne m’attendais évidemment pas à ce que les patrons du Barbès fassent payer 3,50 euros la pinte. Mais putain 8 BOULES UNE BIÈRE QUI SENT LA PISSE, PLEASE QUOI), et puis ces vitres installées en terrasse qui vous protègent des gens qui marchent sur le trottoir.

Il est là le truc qui fout mal à l’aise. Je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir dégueulasse, à siroter mon pipi (ma bière) de luxe, tout en observant la « faune » qui arpentent le boulevard derrière ma belle épaisseur de vitre. Loin d’être une no-go-zone comme ces gros consanguins de Fox News ont pu le dire, Barbès reste un joyeux -pas toujours- bordel. Un quartier populaire où se mêlent vendeurs de clopes, mamas africaines, bobos (moi), flics stressés et vendeurs de portables. Bref un quartier où pratiquer des tarifs pareil relève de l’indécence. Cibler une clientèle de cols blancs ou jeunes bourgeois du 16ème en leur proposant de « venir s’encanailler dans un quartier chaud de la capitale -maisvousinquiétezpasy’adesvitresetdesvigilesbienmuscléspourvousprotéger » c’est cracher à la gueule des habitants du quartier. C’est nous cracher à la gueule. Pourquoi construire un lieu qui n’est pas accessible aux gens qui sont ici depuis toujours ? Ah si je crois savoir. Pour qu’ils dégagent peut-être.

Voilà nous y sommes. BONJOUR MADAME GENTRIFICATION.
TU SAIS TOI ET MOI ON VA PAS ÊTRE COPINE.

Re-dynamiser un quartier en ouvrant de nouveaux commerces (coucou le Louxor), évidemment que je suis pour. Mais ne les rendre accessibles qu’à une tranche aisée de la population, ça, non non et re-non. La mixité, certains s’assoient dessus bien comme il faut on dirait.

C’est la fin de cette histoire. Je ne pense pas remettre les pieds là-bas. La dernière fois que mes colocs y sont allés, on leur a refusé une table libre « parceque les amis du boss arrivaient ».
Je suis triste que les patrons du Barbès aient pété plus haut que leur cul, je suis triste de regarder ce magnifique bâtiment chaque jour depuis ma fenêtre et de savoir que je ne taperai jamais la bise au barman.

Ophelie

Ophélie est née en 1988 et un super putain de vélo. Leader de groupes de filles aussi ultra classes ( Fury furyzz et Mercredi Equitation), la jeune donzelle au casque d'or dorénavant chroniqueuse radio et constellée de tatoo fait parfois un peu flipper. Elle crie fort, quand même. Mais au cas où, rappelle toi ces propos: elle fait les soldes chez Jennifer, et possède la larme facile à l'écoute d'un bon vieux titre de son cd de dance machine 2001. Un coeur en chamallow on t'a dit.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com