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dimanche, 23 juin 2013

LE TWERKING, RENCONTRE AVEC FANNIE SOSA

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Le féminisme est l’un des trucs les plus compliqués du monde. Sérieux. Si t’as envie de relancer une soirée un peu ennuyeuse et de voir les gens s’insulter, lance une conversation à ce sujet. Dans la demi heure, tu es quasi sure d’avoir envie de mourir.

Entre tes potes de toujours qui ne s’aperçoivent pas de leur mysogynie latente (« bah ça va si la meuf elle est bonne faut bien lui dire non, c’est pas ce qu’elle attend ? »), les copines reloues qui passent leur temps à coller des étiquettes sur les gens (« non mais toi en tant que bourgeois blanc originaire d’un Poitou patriarcal à l’éducation judéo-chrétienne tu n’as pas ton mot à dire »), et les gros débiles qui font des généralités sur tout (« toutes des putes pas épilées et mal baisées »), je préfère la plupart du temps me cacher pour pleurer en priant pour que quelqu’un dise enfin quelque chose d’intelligent.

Il est impossible de définir le féminisme simplement. Tout comme il est impossible de rassembler toutes les causes et les militant-e-s sous une même bannière : la confrontation est quasi-inévitable à chaque fois. Pourtant, la nécessité d’en parler est là, et les points de vue, aussi différents soient-ils (que ce soit sur des sujets aussi différents que les femen, le port du voile ou le porno) doivent pourtant être exprimés haut et fort et débattus. Un sujet de discussion, il faut l’avouer, quand il est évoqué avec des gens qui savent de quoi ils parlent, passionnant, sans fin, et toujours enrichissant.

On pratique notre propre féminisme chez Retard, à base de Beyoncé, de mini-jupes et d’un poil de Riot Grrrl. Pas revendiqué partout mais sous-jacent, La team possède une petite Spice Girl bien vénère dans le coeur, toi même tu sais. C’est pour cela qu’on est ravies d’avoir Fannie Sosa le 14 juillet à l’Espace B, pour un cours pas vraiment comme les autres.

Fannie, en plus d’être chanteuse, étudiante, et méga bonne (bah ouais, on s’incline) est une féministe revendiquée qui donne des cours de Twerking. Toujours ultra lookée (je l’avais croisée dans un squat dans le nord de Paris, en legging scintillant et moitié de la tête rasée, grosse classe), elle propose une réflexion très moderne sur la place de la fille, en privilégiant un médium pas forcément évident. Ton boule. Mais elle t’en parlera mieux que moi dans l’interview qui suit, qu’a réalisé Ophélie. Si tu pensais ne pas pouvoir t’exprimer en bougeant ta gelée, avoue que tu t’es gourée.

Venus, Mars, and Uranus

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Fannie, peux-tu te présenter ?
Fannie Sosa est un anagramme de mon nom, Sofia Senna. C’est un avatar, une expression amplifiée de mon “moi rêvé”, ma super-héroïne, là ou je peux articuler mon identité toujours changeante avec le plus d’aise. Je crois beaucoup dans la puissance incantatrice des mots, de leur etymologie et de leur sens caché: le langage crée la réalité telle que nous la percevons.

Je suis une mestiza, artiste, étudiante, féministe trans-frontière, et mon but dans la vie c’est d’être heureuse et de rendre heureux.

On commence avec la question pour les enfants de 4 ans : le twerking en une phrase stp ?
Le twerking est le kiff de (se) bouger le cul consciemment.

Pour ceux qui savent un peu mieux lire, peux tu nous raconter l’histoire de cette danse ?
C’est une danse issue des diasporas africaines (mapouka, ndombolo, soukouss, etc. J’ai découvert qu’elle est plus transversale que ce que l’on croit, car y a aussi des traditions pashtounes qui la re-enactent) , dont les populations ont été le plus souvent redistribuées dans les périphèries urbaines, dans les ghettos. C’est une danse qui met en mouvement le cul, le périnée, les organes génitaux: le ghetto du corps. Elle fait appel aux chakras bas, ceux de la sexualité, et est donc souvent vue comme indécente.

Est ce que le Twerking s’adrese à toutes les morphologies?
Tout à fait. J’ai appris à des garçons blancs, très fins et secs, à bootyshaker. Ce n’est pas une technique, c’est une (é)motion, un mouvement. Le twerk c’est avant tout une question de conscience qui arrive à des parties qui sont niées, cachées, censurées. Il s’agit de reveiller son “cul cosmique” l’agrandir, le rendre visible, le rendre beau.

Et toi tu as appris ça où?
Le mouvement m’a été montré par Corinne Loperfido et Arielle De Pinto, deux amies qui étaient venues danser avec Katey Red, performeuse de sissy bounce de Nouvelle Orléans.

Après je me suis éduquée toute seule, avec des vidéos youtube, en soirée, en face du miroir, dans la douche. Je ne pouvais pas m’arrêter de twerker. D’ailleurs, je n’arrive toujours pas à m’arrêter : une fois qu’on met le mouvement en marche, il est circulaire, il se nourrit soi-même et l’on se surprend à bootyshaker presque à son propre insu. Je dis toujours que l’on n’apprend pas ce mouvement, on se le rappelle. Il vient de loin, de mouvements ancestraux où l’on est près de notre nature animale et sexuelle: lorsque l’on accouche, lorsque l’on baise, etc.

Tu fais quoi d’autre dans la vie ?
Je suis étudiante en doctorat de sociologie, j’écris une thèse qui s’appelle “Trans-: présentation, représentation et redéfinition de l’humain dans l’ère web 2.0”. Je fais de la musique aussi, j’ai un duo de DJ set/performance appelé FEMELLE et une formation de concert live, Fannie Sosa and The Sisterhood. Je fais aussi des performances avec Poussy Draama.

Hot Pink Hormones Live - Fannie Sosa in Paris

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Maintenant tu donnes des cours, et mêmes des stages, comment ça se déroule? La tenue qu’il faudra apporter ?
Je commence toujours le cours par une partie théorique, où l’on parle de féminismes, de théorie de la différence, de travail communautaire et de prise de position dans l’espace public, puis je montre des références visuelles et textuelles qui sont à mon avis relevantes.

Puis on se met à transpirer. La tenue est super importante: il faut ramener cet habit de lumière qui est garanti 100% confort MAIS qui nous fait aussi sentir les reines du dancefloor. Dans le choix de cet habit s’inscrit clairement une démarche d’acceptation et de célébration de soi et de ses formes.

Tu arrives à mixer reflexion féministe et twerking : tu peux nous présenter ton point de vue ?
Quel message veux-tu faire passer à travers cette danse ?Mon “féminisme” se définit par sa flexibilité: le droit que nous avons tous/toutes, en tant qu’êtres vivants, à devenir de plus en plus nous-mêmes. Une (parmi pleins d’autres) partie de mon identité est mon kiff des courbes, d’être sexuelle, d’être bonne: c’est pourtant des fois dur de valider ce désir et mon féminisme avec toutes les forces qui oppriment les corps sexuels féminins, surtout les non-blancs. Le twerking est très assimilé à la figure de l’objet de désir, le corps passif désiré. Lorsque j’articule, nomme et reconnait que je peux vouloir être ça parfois tout en restant insoumise, j’enclenche automatiquement son contraire: la figure du sujet de désir, soit le corps actif désirant. Le corps qui a soif et qui a faim, le corps organique, aventurier et souverain. Le twerking tel que je le transmets, est un endroit d’exploration de notre cul, le ghetto du corps, cet endroit interstitiel démocratiquement érotique (qui n’a pas d’anus ?) qui est transversel à la race, l’âge, le genre, la différence. C’est un endroit trans-., de mouvement paradoxal (du registre de l’animal, le sexuel, mais aussi du divin, du spirituel) et de résistance à la terreur binaire, homme vs femme, corps vs esprit, naturel vs. culturel.

Merci pour ce point philosophique. Même Miley Cirus s’y met, penses-tu que ce soit une bonne chose que le twerking devienne populaire ?
Oui, mais surtout il faut transmettre les mots qu’il y a derrière ce mouvement.

Peux tu nous donner une playlist idéale, genre 5 titres des meilleurs morceaux pour le twerk ?
Electric Punnany isa ll you need baby ! En plus elles sont en free download !

On dit merci qui ?
MERCI FANNIIIIIIIE

Son collectif de Djettes : FEMELLE
Son twitter : https://twitter.com/FannieSosaLove

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Ophelie

Ophélie est née en 1988 et un super putain de vélo. Leader de groupes de filles aussi ultra classes ( Fury furyzz et Mercredi Equitation), la jeune donzelle au casque d'or dorénavant chroniqueuse radio et constellée de tatoo fait parfois un peu flipper. Elle crie fort, quand même. Mais au cas où, rappelle toi ces propos: elle fait les soldes chez Jennifer, et possède la larme facile à l'écoute d'un bon vieux titre de son cd de dance machine 2001. Un coeur en chamallow on t'a dit.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com