La première partie de MI/NUIT se lit ici
Chapitre 1/Sindy
« Bonsoir, j’ignore s’il faut vous tutoyer ou le contraire. Et j’ai une demande : me prendriez-vous en stage? Et ça pourrait être drôle de vous envoyer une lettre de motivation.
J’avais demandé au musée de la contrefaçon, mais ils ont du comprendre que je n’en étais pas une.«
Sur sa photo de profil Facebook Sindy Saïd avait les cheveux courts au carré avec une moustache, je ne savais pas si c’était un garçon ou une fille Sindy Saïd, Sindy ou Saïd. Le lendemain je l’ai appelé.
Elle était hésitante, timide, n’avait pas préparé son entretien téléphonique m’avait-elle dit mais semblait déterminée.
Je faisais passer un entretien d’embauche malgré moi,
Je suis un animal, je me fie au flair et à l’instinct.
Les gens je les sens, les renifle, je ne leur demande pas leur CV.
Ça me faisait rire mais je tenais le rôle.
Je riais silencieusement comme j’ai appris à le faire en primaire, pour ne pas me faire remarquer par les enseignants.
Parfois je m’esclaffe dans ma tête, n’affiche en réalité qu’un léger sourire en coin.
Le rire.
On ne peut pas rire de tout.
On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, disait Coluche
Je ris de rien, seule.
J’aime les blagues, simples, grasses, les jeux de mots, les situations absurdes, les gestes et les mots qui échappent.
Me moquer, de moi, de tous, de tout, de rien.
Et les fous rires.
Sindy m’expliquait être à la fac, en « EsthÉtique et science de l’art », être libre de faire le stage de son choix mais préférait faire un stage auprès de quelqu’un dont elle se sentait proche.
Elle me disait qu’elle savait faire plein de choses, que ça ne la dérangeait pas de faire des tâches ingrates, qu’elle ferait tout ce que je lui demanderai.
Alors j’ai pris Sindy en stage, dès le lendemain.
Sans vraiment savoir quoi lui faire faire.
Je ne sais pas déléguer, déléguer les réflexions ce n’est pas possible.
Déléguer les problèmes non plus.
A notre premier rendez-vous je suis arrivée en retard, très en retard, Sindy lisait sous un porche, sous la pluie. Elle m’a dit que ce n’était pas grave, qu’elle avait un livre.
Dans les poches de mon manteau j’en avais trois.
Sindy était grande, brune, les cheveux courts au carré, le teint pâle.
Des yeux verts derrières des lunettes pas très propres.
Elle était bourrue, elle ne parlait pas beaucoup, sa présence était fantomatique, affairée à une tâche, plongée dans une pensée j’en oubliais sa présence.
Sindy soupirait de temps à temps, régulièrement, mais m’assurait que ça allait.
J’ai priS l’habitude.
Sindy était jolie quand on prenait le temps de regarder, de découdre toutes les couches qu’elle mettait par dessus.
Sindy portait un uniforme, une casquette du Maroc toute rouge avec une étoile verte sur le devant et des Dr Martens basses, des Dr Martens en faux cuir, des Dr Martens pour vegan car Sindy était vegan.
Et un sac en tissu de la pizzeria Charly de Marseille, la pizza à 1€, à Noailles, presque sur la Cannebière.
Sindy avait de longs poils noirs sur les jambes.
Elle ne cherchait ni à les montrer, ni à les cacher, on pouvait les apercevoir lorsqu’elle croisait les jambes et que son pantalon remontait légèrement.
Sindy était méticuleuse, pour tout, pour n’importe quoi, pour le choix du café, comme le choix des mots. Tellement méticuleuse qu’elle mettait parfois beaucoup de temps à faire certaines choses simples.
Je ne la blâme pas, au contraire, ces tâches simples je ne sais pas les faire.
Je ne suis pas quelqu’un de précis, ma force est dans l’imprécision, dans les accidents et ce qui s’y crée.
Dans la nuit, noire, profonde, il n’y a plus d’heure
Tout est flou, et pourtant tout se dessine
J’ai grandi la nuit
Me suis élevée la nuit
Dans les accidents
Que l’obscurité provoque.
La mère de Sindy voulait qu’elle et son frère aient les mêmes initiales : S.S.
Le frère de Sindy de quatorze mois son cadet s’appellait Stane, avec un E.
Sindy, avec un S,
Sindy comme la marque de poupée concurrente de Barbie dans les années 90.
Sindy, si on lui demandait ses origines disait qu’elle était corse, sa mère était corse, son père moitié algérien, roux, avec un mulet.
Les parents de Sindy étaient restés onze ans ensemble. Et avaient découvert leur séropositivité lorsqu’ils s’étaient séparés. Depuis ils s’attaquaient mutuellement en justice, pour empoisonnement.
Sindy et son frère n’étaient pas atteints.
Sindy ne savait pas qui avait contaminé l’autre. Elle avait néanmoins une petite idée. Mais Sindy s’en foutait.
Enfant Sindy s’était brossé les dents avec la brosse à dents de sa mère, elle lui avait alors lavé la bouche à l’eau de javel trop inquiète qu’elle soit contaminée.
Lorsque les parents de Sindy se sont séparés, la mère de Sindy était pauvre, Sindy, son frère et sa soeur avaient connu la faim.
Puis sa mère avait rencontré un homme, un militaire de carrière, qui gagnait confortablement sa vie. Il disait qu’il les avait sauvés, il aimait utiliser le mot « plèbe » et détestait l’immigration. Sa mère avait pourtant toujours peur de l’insécurité, de souffrir du manque.
Quand Sindy avait dix ans, ils étaient partis vivre en Mauritanie parce que son beau-père y avait été muté, le système scolaire y étant différent, Sindy y avait sauté une classe. C’est aussi en Mauritanie que Sindy avait compris qu’elle était une enfant battue.
Alors que le beau-père de Sindy la violentait, comme à son habitude, un jour dans la rue un passant spectateur de la scène proposa à Sindy d’appeler la police. Elle avait alors pris conscience de l’anormalité de ces gestes, de la violence que ça représentait, de la violence qu’elle subissait.
Le père de Sindy était camionneur, et quand Sindy était enfant son père lui faisait des mots d’excuses pour qu’elle fasse des trajets avec lui dans son camion, fatiguée ou malade elle s’allongeait à l’arrière de la cabine et s’endormait.
Il vivait à Sète, dans le bateau qu’il se construisait dans le port.
Lorsqu’elle habitait à Marseille, un jour Sindy avait pris le train pour aller à Sète, voir son père, avec Lisa sa petite amie de l’époque.
Ils avaient passé la journée ensemble, c’était chouette, ils avaient fumé des joints, discuté et ri. Puis à la fin de la journée Sindy et Lisa étaient reparties.
Une autre fois Sindy était à Sète, pour l’école, elle avait écrit à son père pour le voir, il lui avait répondu d’aller se faire voir chez les grecs. Ça avait fait rire Sindy.
Le père de Sindy était devenu paranoïaque entre autre parce qu’elle avait dit à un psy, enfant, qu’elle avait vu son père porter des robes comme sa mère lui avait demandé de le dire.
Sindy aimerait revoir son père, parce qu’ils s’entendaient bien et se comprenaient mais il ne voulait plus.
Je suis une sorcière, vêtue de noir, cheveux de jaie, parfois la pénombre teinte mes lèvres, jusqu’au bout de mes ongles, alors que je n’ai pas besoin de ça pour jeter des sorts.
Bête sacrée.
Je marche à deux centimètres du sol, je glisse, rappe, dérape, mais ne foule pas la terre. Jamais ne trébuche, se sont des sursauts, des cavalcades, cabrioles, sauts de biche, au dessus de l’asphalte, en cinquante images seconde, mouvements lents et contrôlés.
Je ne sais écrire que lorsque mes ongles sont longs, et aiguisés.
Quand ils claquent sur les touches du clavier lumineux.
Alors les mots existent, sonores, et apparaissent du bout de mes ongles, en noir sur le blanc luminescent de l’écran.
Les mots sur le bout de la langue,
Quand ils ne viennent pas, je les invoque à coup de mouvements délicats de doigts, puis de cliquetis.
Puis les taille, leurs donne la forme adéquate, pour faire des phrases, des paragraphes, des histoires.
Lorsque je dévale vite des escaliers, ceux de Montmartre par exemple, les nuits de pleine lune, et que je suis vêtue de noir, je m’envole.
Sindy aimait Marseille, elle s’y était retrouvée après son placement en foyer pour y faire ses études, comme Sindy avait eu son bac à seize ans, elle avait commencé ses études supérieures tôt, et encore sous la coupe de l’autorité parentale elle qui voulait faire des études de cinéma, avait dû suivre la volonté de sa mère et faire des études de lettres. Sindy avait une chambre à Aix, mais vivait chez Lisa sa petite amie de l’époque, à Marseille.
A la fac, Sindy allait en cours en méduse, ses cours dans un cabas, elle arpentait les couloirs de son pas lourd et ne parlait à personne, sauf pour insulter les autres étudiants trop bavards, trop bruyants dans l’amphi.
« Fermez vos gueules » criait-elle, puis se remettait au travail.
Sindy semblait avoir une jauge de tolérance différente, aléatoire.
Les choses graves elle les prenait avec humour et de tout petits riens pouvaient la mettre dans tout ses états.
Même si elle avait l’air d’être un personnage, chez Sindy tout était sensé, tout se rejoignait, se recoupait et s’expliquait.
Sindy avait des idées très arrêtées sur certains sujets, avec le temps, elle s’était adoucie. Avant Sindy détestait les hommes.
Un prof qui formait des binômes pour un travail de groupe avait mit Sindy et Valentin ensemble, elle lui avait alors rétorqué « tu as de la chance que je te parle, je déteste les hommes ».
Puis Sindy et Valentin s’étaient liés d’amitié, avaient vécu ensemble dans 15m2 pour 80€ par mois.
Sindy était souvent déprimée, et avec Lisa sa petite amie de l’époque, c’était compliqué. Valentin la portait à bout de bras, la poussait à aller en cours.
Sindy voulait que Lisa et Valentin aient des relations sexuelles, ça l’aurait rendue heureuse d’avoir une relation à trois.
Ca n’avait pas fonctionné, elles se disputaient trop. Elles s’étaient finalement séparées. Sindy n’avait jamais eu de relation amoureuse avec un garçon, elle avait certainement dû en branler un, mais c’était tout.
J’aime fumer, j’ai commencé tard, à 19 ans, comme tout le reste, parce que je sortais avec un garçon qui fumait, et je voulais lui montrer à quel point c’était désagréable d’embrasser une bouche cendrier, une bouche pleine de cette odeur dégueulasse.
Je travaillais dans un tabac-presse, sur les Champs-Elysées, celui du Drugstore Publicis. J’ai commencé par des Vogue menthol, j’en fumais à la pause, je sentais alors mes jambes devenir cotonneuses, je perdais le fil de mes pensées et devais me tenir pour ne pas tomber tant c’était fort.
A 19 ans, j’ai commencé la cigarette, l’alcool, la drogue et le porc. Je fume pour écrire, parfois je ne fume pas pendant des semaines. Mais pour peindre, pour écrire, fumer c’est nécessaire.
Ça donne de l’assurance, de la prestance et du plaisir.
De la satisfaction, et pour seuls bruits le crépitement du tabac qui brûle à chaque inspiration.
Quand Sindy était à la fac à Aix, elle avait eu un projet artistique à rendre.
Elle avait eu l’idée, dans une volonté féministe de proposer ses services, de se prostituer mais uniquement auprès de femmes.
Sindy ne concevait pas la prostitution comme une démarche féministe, au contraire.
Elle avait posté un annonce sur le site calinemoi.com « Lesbienne 20 ans propose ses services #grosseins #feminism #sarahwilliams ».
Son projet comportait l’annonce, les messages qu’elle avait reçus et ses réponses.
Sindy n’offrait ses services qu’aux femmes et malgré ses spécifications elle recevait des messages d’hommes.
Un jour Sindy avait reçu un courrier.
« Ta famille ne serait pas fière d’apprendre tes activités extra-scolaires signé un vagin qui te méprise et qui prendra sa revanche« .
Sindy et Valentin avaient mené une enquête.
Le courrier avait été envoyé de Paris, grâce au code, en orange sur l’enveloppe ils avaient découvert que la lettre avait été envoyée depuis le 4ème arrondissement de Paris.
Sur l’annonce Sindy avait mis son vrai numéro de téléphone.
Elle recevait toujours régulièrement des appels.
Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle n’avait pas retiré l’annonce, Sindy m’avait répondu qu’elle ne savait plus où elle l’avait mise.
Sindy n’était pas sûre d’être capable de se prostituer, elle savait qu’il fallait être un personnage, qu’il fallait savoir jouer, et elle, elle ne savait pas. Jouer.