Quand les colocs de mon amie nous ont expliqué l’itinéraire qu’on devait prendre pour aller dans une petite ville au nord du Québec, c’était tout simple.
« C’est à peu près à six heures d’ici. Vous avez juste à prendre un bus qui vous emmènera à la sortie de Québec (la ville), là vous pique-niquez à côté des chutes, vous verrez c’est super beau, après vous remontez une voie de chemin de fer, vous traversez la route, et là vous pouvez faire du stop/du pouce (selon l’accent). En plus, vous êtes des filles, ça va aller vite. Et puis vous êtes deux, c’est safe. »
Ah, ça.
Au départ, on descend un peu trop trop tôt du bus et on a erre autour d’une usine, puis on replonge dans un second bus, et la première partie du voyage se passe plutôt sans encombres.
On traverse l’autoroute, on décide de se poster dans un parking avec un morceau de carton qu’on a auparavant subtilisé à des gens dans un jardin. Un premier mec nous prend. Il a certes un lapin Playboy qui pend à son rétroviseur, mais il a l’air brave. À peine a-t-on quitté Québec, qu’on n’aperçoit plus que des arbres, des débuts des montagnes, des lacs et des camions.
« Vous voyez la maison là-bas, c’est un copain à moi qui a chassé trop de chevreuils, mat’nant i a pu l’droit d’le chasser, le chevreuil. »
Ok. Il nous dépose à l’entrée d’un village-route. On a bien compris qu’on perdrait pas trop de temps à se faire ramasser. La route pour aller au Nord est droite, et il y en a une seule. C’est la 138. En Amérique, les routes ont des prénoms.
Comme on s’en doutait, un mec s’arrête assez vite. Sans sourire, il inspire pas particulièrement la sympathie mais il a l’air assez jeune (considération totalement conne de ma part car un mec jeune est autant, voire plus dangereux qu’un mec plus vieux, mais.). On sait pas trop, il a l’air bizarre, en même temps, on sait pas si on peut se permettre d’être compliquées, il y a pas tant que ça de passage ici. Elle me regarde, je la regarde, on hésite toutes les deux, on ne sait pas bien analyser nos regards à l’une et à l’autre, bon, on le fait attendre le bonhomme, on bredouille « Ok » et voilà, on est montées.
Ma pote devant, moi à l’arrière. J’essaie d’enfouir le gros sac avant moi mais je galère. Même mon propre corps, j’ai du mal à le caser, il y a plein de jouets, des morceaux de carton, et oh tiens, des chaussures de petites filles. Avec ma tendance à paniquer assez vite, je pense «Putain j’espère que c’est sa fille, j’es-père que c’est sa fille ».
J’essaie de prendre mon portable dans ma main, je me rassure psychologiquement en me disant que comme ça je serai capable d’appeler le 911 assez vite. Au milieu de la 138. Rires gênés dans la salle. Je regarde vers mon amie et pile devant elle, un éclat sur le pare-brise. Je commence à devenir spectrale mais j’essaie de faire ma fille forte. La conversation démarre lentement.
« Vous avez prévu tout ce qu’il faut si jamais vous devez dormir dans la forêt ce soir ? »
On se met toutes les deux à penser que putain, nan on n’a même pas de lampe. On a juste un paquet de chips, une tente empruntée, et nous-mêmes. Ca fait peu pour des aspirantes aventurières. Je demande quels animaux on peut croiser ici.
« C’est la wilderness ici.Dans le fond, des ours, des loups, des lynx. »
Oh.
« Et toi, tu fais quoi dans la vie ? » demande ma pote, histoire de dévier un peu lethème.
« L’armée. »
Ooooh no.
« Oh ! T’as dû voyager pas mal non ? » elle continue. Elle essaie de nous sortir de l’ambiance glauque comme elle peut.
« Ouais. Irak, Afghanistan. »
Ohlalaohlala. Je commence à avoir des sueurs froides, je sens les murs de la voiture qui m’étouffent. C’est le sentiment d’être tombée sur un mec un peu chiant sur Blablacar, décuplé par mille. J’essaie de communiquer très fort à ma pote par télépathie mais, dans le jargon, on est impuissantes.
On fait un ou deux kilomètres de plus, puis le gars commence à tourner à gauche. Mais la route est droite. Je sens plus mes mains, j’ai froid. Il freine sur un bord de route en sable. On en profite pour ouvrir les portes, on ramasse nos affaires comme on peut, on dit MERCI SALUT tandis que le mec s’engouffre dans une petite route en terre tout à gauche.
On est seules au Nord du monde. A 50 mètres de nous, un motel. Tout, autour de nous, est un mauvais cliché. Alors qu’on se regarde avec ma pote, on n’a pas plus d’autre choix que d’aller encore plus au Nord et augmenter les mètres cubes d’air qui nous séparent de ce mec louche.
Il nous a déposé du mauvais bord de la route, on court pour traverser alors que des énormes camions passent très vite à côté de nous. J’ai envie de m’évanouir par terre et de pleurer. Et de rester là. Et de rentrer. Et d’avoir des palpitations de mauvaise actrice de cabaret. J’en fais beaucoup trop.
Pendant 10 minutes, une cinquantaine de bikers passent. Et cinquante, c’est long. Ils nous font salut. On leur répond, ils ont l’air sympa. On se remet à rigoler. Puis on se rend compte qu’ils ne nous disent pas salut mais qu’ils essaient de nous montrer qu’une voiture nous attend 30 mètres plus haut. On court, ou plutôt on trottine, jusqu’à elle. À l’intérieur, un gars avec une casquette TADOUSSAC nous accueille. Apparemment, ça fait 10 minutes qu’il est garé. Ca veut donc dire que sur cette route relativement déserte, on a réussi à faire poireauter quelqu’un. Si je devais recoller le nombre de fois que j’ai ri de moi-même, je pense que ça durerait un an.
« Dans le fond, je dois juste m’arrêter pour acheter du fromage à un moment, mais venez, montez. »
Le gars est aussi gentil que celui d’avant était horrible. On est des queens du Canada, et on arrive à notre destination, vivantes. On a même acheté du fromage. Et on a campé sur des espèces de planches en bois dans une forêt. Même si je sais maintenant que je serai pas dans la prochaine saison de Man versus Wild, au moins, la prochaine fois j’apprendrai à dire NON, VADE RETRO, TU NE ME TUERAS PAS, quand un mec d’apparence chelou s’arrêtera.