RETARD → Magazine

jeudi, 24 septembre 2015

Peut-on être féministe et fantasmer sur Booba ?

Par
illustration

Simone de Beauvoir a écrit « on ne naît pas femme : on le devient », Booba a chanté «tu veux baiser sans sucer, bouffonne, garde la pêche» et moi je dis que je suis féministe et que je fantasme sur Booba. Cela fait-il de moi une mauvaise féministe ?

Dans ma bibliothèque, il y a Le deuxième sexe, plein d’autres livres, dont un dictionnaire des synonymes et un livre sur l’huile d’olive, un peu de poussière et sur l’une des étagères, un album de Booba. Mais il est caché. Je l’ai mis tout au fond, derrière un album d’Agnès Obel et la compile des musiques de la série Dawson. C’est là que j’ai vu qu’il y avait un problème : j’ai préféré mettre en avant ma vieille compile des années 2000 d’une série pour adolescente pré-pubère au dernier album d’un des rappeurs les plus connus du moment.

Pourquoi ? Parce que j’ai honte.

C’est vrai, Booba dans ses clips, les filles sont nues, tout le temps. Autour des piscines, dans des déserts ou dans des prisons, elles sont toujours nues, avec de gros seins et des grosses fesses, sinon elles ont «walou». Dans les clips de Booba, dans ses chansons, il n’y a pas des femmes, il y a LA femme. La femme-objet-sexuel à qui il «met dans le cul si profond qu’elle peut pas marcher». Ce ne sont pas des femmes, ce sont des «fions», des «moules» ou des «biatchs»(traduction = salope / synonyme = connasse) qu’il «baise comme des chiennes» ou «comme des dindes». La femme idéale en somme, « parfaitement stupide et parfaitement soumise ; toujours prête à accueillir l’homme, et qui ne lui demande jamais rien» telle que la décrit Simone dans Le deuxième sexe. Et si elles lui demandent quelque chose, de toute façon, il «les gifle en partant».

Alors, est-ce que ça me gêne ? Oui. En tant que femme, en tant que féministe, en tant qu’être humain, ça fait frétiller ma moustache de voir que les femmes dans ses chansons ne sont que des réceptacles à foutre, prêtes à tout pour un billet et dont le consentement est optionnel. Ça me gêne et ça m’énerve. Mais en 2015, en France, quand on est féministe, on est énervée tout le temps. Je suis énervée quand je vais acheter ma bouteille de Coca et que je dois changer de trottoir parce qu’un groupe de mecs me suit et que l’un d’eux me demande si je peux le sucer (sans dire s’il te plait, de surcroît), quand un inconnu me pelote dans le métro ou quand une voiture fait demi-tour pour ralentir à ma hauteur et que le conducteur exhibe son sexe. Mais ça m’énerve aussi quand je joue au ping-pong avec mes cousins et qu’à chaque point que je gagne ils estiment que «c’est la honte» pour eux, quand mon père ne prête sa voiture qu’à mon frère, quand ma grand-mère me dit qu’à 26 ans il faudrait que je m’y mette (au régime, au mariage, aux enfants), quand ma meilleure amie n’achète que des fringues roses à sa fille ou quand mon oncle raconte en plein repas dominical entre le plat et le dessert, qu’il a déjà giflé sa femme mais seulement parce qu’elle l’avait énervé.

Être féministe en 2015, c’est être énervée. Le point commun entre Booba, ma grand-mère et un inconnu pervers, c’est qu’ils m’énervent. La différence ? C’est que Booba je l’imagine souvent nu dans la boue et que, parfois, je suis nue dans la boue avec lui. Et que je kiffe. C’est un fantasme, c’est illusoire. Dans ce rêve, il peut me donner la fessée, je contrôle, je suis le sujet, je suis la cheffe mais surtout je suis d’accord. Ça aurait pu tomber sur Pascal Obispo mais non c’est tombé sur lui. Alors voilà : je suis féministe et je fantasme sur Booba. Dans mes rêves je danse collé-serré pour finir en sueur dans un lit, dans la réalité, si je le croise, je lui dis d’arrêter ses conneries.

Bronwyn

Bronwyn est née en 1989 et dit être fascinée par les bouteilles de ketchup. Grand bien lui fasse. Diplômée en communication et en gestion de projets culturels (encore un diplôme qui ne rentre pas dans un tweet), Bronwyn s'intéresse aussi à la condition de la meuf, pour notre plus grand plaisir. En attendant d'aller peut-être élever des huitres dans un marais de l'île d'Oléron (c'est un chouette hobbie), elle nous balance des papiers cools et on en redemande.

Bobby Dollar

Bobby a 23 ans et une casquette des Grizzlies de Vancouver. Ce jeune dessinateur qui sait quoi faire de ses feutres nous a un jour contacté de son plein gré, et c'est un truc dont on est bien contentes. On espère qu'il arrivera à vivre de son talent de malade et qu'il montera prochainement son projet de magazine de football pour les tout-petits. C'est pas les bébés qui servent de ballons hein rassure nous ? HEIN BOBBY C'EST PAS ÇA HEIN ?