Tout d’abord, une introduction. J’adore mon papa hein, me faites pas dire des choses que j’ai pas dites. Etre différent dans une famille c’est intéressant, et ce n’est que mon point de vue.
Papa, quand tu liras ça, tu pourras aussi faire un article et m’engueuler copieusement au téléphone. Après tout, je pense que c’est pour ça qu’on a inventé ce moyen de communication.
Alors que je faisais part à mon papa de ma difficulté actuelle à finir financièrement mes mois, mon daron adoré, dont la pertinence des remarques me fait souvent péter des câbles, a eu cette phrase qui m’a donné envie de me cogner la tête contre le mur. L’air tracassé, ne sachant pas trop quoi me dire quand je lui annonçais que je ne pourrais peut-être pas descendre dans le sud pour les fêtes de Noël à cause de billets de train trop chers, il m’a regardé du fond des yeux, les mêmes que les miens, après tout c’est mon daron, et m’a dit
« Tu sais Marine, tu devrais essayer de gagner le double de ce que tu gagnes actuellement. »
Sans déconner Papa ?
SANS PUTAIN DE DECONNER ?
Depuis quelques années j’observe ainsi les réactions de mon père sur toutes les problématiques professionnelles et financières actuelles, et force est de constater que nos avis sont diamétralement opposés.
Né au lendemain de la seconde guerre mondiale, et ayant fui une vie de fonctionnaire pour les joyeux aléas du fun, de la fête et de la musique, mon père n’a JAMAIS eu à chercher un travail de sa vie, s’est éclaté pendant la majorité de sa jeunesse et n’a jamais subi de turpitudes monstres (d’un point de vue objectif, si vous l’écoutez il a vécu des horreurs, mais bon, hein, c’est son côté Drama Queen qu’on retrouve aussi dans mes gènes)
Mon père le sait, et quand je lui dis il s’énerve : il fait partie de la génération la plus privilégiée de l’histoire de l’humanité. Pas de guerre, toutes les maladies mortelles soignées, une économie forte comme Hulk Hogan sous stéroïdes, mon daron a vécu et vit encore dans un monde de bisounours et ne comprend pas pourquoi je ne peux pas rejoindre la fête.
Il suffit de pousser la porte, Marine, ALLONS, rah mais la poignée, tu la vois pas la poignée ?
Nos discussions sur la société actuelles se vivent donc comme des duels. Que répondre à quelqu’un qui dit que les chômeurs ne savent plus travailler ? Que je devrais me lancer à mon compte, après tout, il suffit juste « d’une bonne idée » ? Qu’à 30 ans, vivre en coloc, c’est quand même chaud, je devrais prendre un appartement seule, un truc spacieux dans Paris et un peu central ? Et puis il est temps d’être propriétaire non ?
Sans déconner Papa ?
SANS PUTAIN DE DECONNER ?
A chaque fois, je trouve son manque de réalisme atterrant. Ca m’énerve, mais ça me blesse aussi. J’ai l’impression de ne pas me défoncer assez, de ne pas assez travailler, d’être un gros bébé chouineur qui n’a pas compris grand chose à la vie. Après tout, oui, il me suffit d’une bonne idée, et puis rooh, je les vois ptêt’ pas les opportunités, je suis moins dégourdie, c’est tout.
Puis je constate la réalité, mes copains logeant tous dans des placards , les potes avec deux trois tafs pour joindre les deux bouts quand ils ont la chance d’avoir des boulots, les couples à enfants qui dorment dans le salon parce qu’ils ont un bébé et pas les moyens d’avoir un trois pièces pas honteux. Et je parle juste de mes proches de bobo connasse de 30 ans à Paris, hein. Je me doute bien que c’est encore pire ailleurs.
Et là je me dis que la seule personne qui vit dans la réalité et son quotidien plein de merde, c’est moi, c’est toi, c’est nous.
Que mon père, les gens de sa génération, nos darons, nos boss, nos politiques, sont tous dans le putain de même panier. A pleurer 30 ans d’une époque qui ne reviendra jamais, à penser que c’est notre faute, à balancer des grandes phrases sur le fait qu’on doit « s’adapter »
à la précarité,
à la retraite à 65 ans,
à la violence,
au changement climatique,
à la vie de merde,
au train de vie pété.
Alors qu’on se tape vos leçons de vie constamment, sachez que vos évidences sont plus valables en 2016. Parce que vous trustez à plus de 60 ans encore les plus hauts postes que vous ne voulez pas lâcher, que vous êtes à la télé, à la radio (Elkabbach a 80 ans ! 80 ! ), dans nos Sénats et nos Assemblées, parce que vous parlez encore trop fort à table et que vous ne voyez la vie que par vos yeux de gros bébés gâtés,
Parce que c’est vous qui faites les lois, nos salaires et nos loyers
Vous savez quoi les vieux ?
C’est vous qui déconnez.
Faites nous de la place. Faites nous dans la place dans vos partis politiques, dans vos comités de direction, devant les écrans, devant les micros. Vous pouvez pas arrêter d’être vieux mais vous pouvez peut-être arrêter d’avoir des réflexions de cons. Faites le deuil de votre époque. Et faites nous confiance. On a plein de choses à proposer. On est comme les cafards, on sait s’adapter. On a pas eu le choix. Regardez nous, tout en bas comme des galériens, à faire les bouffons pour attirer votre attention (bisou Macron), pour récolter les miettes que vous n’aviez pas remarqué et essayer d’en faire des trucs chouettes. Donnez nous les clés des choses dont vous avez hérité et partez à la retraite. Eteignez BFM TV. Posez nous des questions sur notre quotidien, comment on fait pour continuer. Soyez présents. Soyez prévenants. Soyez moins chiants. On vous aime, et on sait faire. Tout se passera bien. Ca sera juste différent.
Bisou Papa. Et merci de venir à Noël. J’aurais pas pu descendre, de toute façon.