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jeudi, 08 septembre 2016

TREIZE (1) : « Le premier jour du reste de ma vie »

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Il est huit heures, c’est affiché en lettres rouges sur mon réveil AKAI. Il sonne de toutes ses forces, il me crispe, j’ai l’impression qu’on me hurle dessus pour me faire avouer. Déjà contrariée par ce premier échange, j’appuie sur la touche snooze et pousse un gros soupir, avant de lancer Fun Radio. En vrai mes yeux sont ouverts depuis longtemps maintenant, ils fixent le plafond blanc du haut de ma mezzanine. Ma gorge est nouée, j’ai le ventre en vrac, mais je n’ai pas le choix, AKAI l’a répété encore et encore, il faut que je me lève.

Ça fait deux mois que je me prépare pour cette matinée. Comme un oracle, elle doit prédire le reste de mon année scolaire. Si je ne me plante pas en ce premier jour de rentrée, tout peut arriver. Les garçons, les bonnes notes, la doudoune Ellesse, et peut-être même un scooter. Le cercle vertueux de la win, mon passeport vers mon premier roulage de pelles.

Pour cette journée je me suis préparé mentalement, physiquement, un peu comme si j’entrais dans la légion étrangère. Depuis deux semaines j’ai réussi à assembler la tenue parfaite, je suis un peu bronzée après avoir passé 15 jours à me vautrer en catamaran dans les eaux troubles du lac de Rillé situé à 30 bornes de chez moi, sans susciter le quelconque intérêt chez mes homologues masculins de colonie de vacances. J’ai gardé mon tour de cou faux tatouage, et j’en ai même rajouté un autre avec quelques perles de rocaille. Ma coupe de cheveux n’est pas trop dégueulasse (un petit carré qui rebique jamais du bon côté), mes seins font à peu près la même taille, et, après avoir écumé toutes les boutiques de vêtements de Tours avec ma mère à la limite de la dépression nerveuse, j’ai trouvé le pantalon à pattes d’eph de mes rêves. Il sera accompagné d’un petit t-shirt à capuche trouvé sur le marché de Fondettes, la ville-dortoir dans laquelle je suis censée m’épanouir dans la banlieue de Tours, sur lequel le transfert est tellement mal fait que la photo de Manhattan colle quand il fait trop chaud. J’ai enfin le droit de porter une paire d’Adidas (« pas de baskets, sauf pour faire du sport » avait dit maman, MAIS REP A SA MAMAN, J’AI TREIZE ANS OKAY) et un soutif auchan qui se décline lui aussi dans les mêmes teintes bleutées.

Devant le miroir collé sur ma porte de chambre, et alors que Moos beugle de son accent toulousain un « AU NOM DE LA ROSE » qui me donne à chaque fois envie de chialer dès les premières notes, j’essaie de passer en mode mode mégabonne en cette matinée de septembre 1999. J’ai la race de fard bleu clair sur les paupières, j’ai bien chargé mon eastpak avec toutes mes nouvelles fournitures, et j’ai même réussi à étaler correctement mon vernis sur mes dix petits doigts de main de fermière alsacienne. Mon carré, dans son YOLO habituel, a décidé de suivre son propre mouvement, et j’ai renoncé à maîtriser quoi que ce soit, qu’il s’agisse de mon sébum, mes poils, ou mes crises de larmes qui me submergent quand je pense à l’écart en âge qui existe entre moi et Leonardo di Caprio.

AU NOM DE LA ROSE MON AMIE LA FEMMEU PRETEU MOI TON COOORPS

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Je suis plus que prête à affronter ma rentrée de quatrième, option section européenne.

Et alors que je me demande si je vais à pieds ou pas au collège (les pour : cela montre que je suis indépendante, et cela évite que mon père, qui insiste pour me déposer, klaxonne comme un abruti une fois que j’aurais le dos tourné. Les contre : je vais sentir la transpiration, et mon parfum fruits rouges Yves Rocher ne pourra rien y changer), j’enfourne quelques céréales dans ce corps dont je ne maîtrise pas les contours et m’interroge sur ce qui m’attend de l’autre côté du portail du collège.
Y aura t-il des nouveaux ?
Y aura t-il des nouveaux sexys ?
Seront-ils dans ma classe ?
Comment me présenter à eux pour qu’ils voient en moi un phare dans la nuit de leur nouvel établissement scolaire ?
Est ce que je ressemble à une fille cool ou je sens aussi fort la honte que ma copine Marie qui fait du cathé comme moi mais qui à la malchance de porter un appareil dentaire ?

Je ne sais plus.

Je suis perdue.

Fais comme l’oiseau m’aurait dit Michel Fugain. Je vole donc vers le Collège. Il est 8h50 et je n’ai pas vérifié si j’avais des mickeys coincés au coin des yeux.

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Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com